Du 22 au 26 juin 2015, l’ATED Numérique en Méditerranée (Frontières, migrations, mobilités) a vu naître deux fils de discussion sur Twitter : #ATED_NUMIG et #NUMIG_ATED. Ils ont ainsi permis de relayer le contenu des interventions qui se déroulaient à Sidi Bou Said en Tunisie. De plus, l’ensemble des tweets ont été sauvegardés sur Storify où ils peuvent être consultés :
Ce billet se propose de mettre en exergue une série d’axes d’analyse issue des communications hors-lignes et des discussions en ligne sur Twitter. Il ne prétend ni à l’exhaustivité ni à la représentativité. Il est, au contraire, conçu comme une invitation à la discussion sur le carnet par le biais des commentaires, notamment à l’attention des intervenants qui ont participé à l’ATED. Je n’ai pas ici fait le choix de présenter ma thèse en cours sur “Les mémoires de l’immigration maghrébine sur le web français” qui s’appuie sur un corpus de sources en ligne archivées au dépôt légal du web (INA et BNF). Davantage d’informations à ce sujet sont disponibles sur le carnet de recherche “Al-Mâdi (le passé), Internet, Histoire, Mémoires“. Ce billet est donc le point de vue d’une doctorante en cinquième année d’histoire qui considère l’internet comme une source, ainsi je m’excuse d’avance pour les approximations éventuelles concernant les autres disciplines de SHS qui étaient représentées durant l’ATED (sociologie, anthropologie, linguistique, cinéma, etc.).
La généralisation des usages numériques depuis la fin des années 1990 a contribué à renouveler le champ des migrations en SHS. La figure du « migrant connecté[1] » a remplacé celle du migrant déraciné, insérée dans une lecture transnationale des mobilités et des circulations[2]. La littérature portant sur la relation entre numérique et migrations renouvelle les grilles d’analyse des travaux actuels des doctorants. Dans le même temps, les pratiques quotidiennes de la recherche sont transformées par le recours à l’internet et aux divers contenus numériques. Face à ces usages réguliers, il apparaît difficile de faire l’économie d’une réflexion sur la place du numérique dans nos pratiques de recherche. A l’issue de l’atelier, il semble que le numérique invite le chercheur en SHS à redéfinir des catégories fondamentales de sa discipline et des pratiques de recherche qui étaient jusque là établies. Ainsi, des questions aussi classiques que la relation avec le terrain ou encore les modes de restitution de la connaissance se posent avec acuité. Le recours au numérique peut alors constituer une opportunité à saisir pour se pencher sur la « fabrique du savoir » portant sur les migrations.
Dans cette perspective, je propose ici quatre axes qui seront esquissés :
1. Tous des “chercheurs connectés”?
2. Traces numériques et migrations : un nouveau rapport au terrain/à la source
3. Nouvelles formes de restitution de la recherche sur les migrations
4. Des perspectives de recherche
1. Tous des “chercheurs connectés” ?
Au sein des travaux de recherche présentés durant l’ATED, le numérique est sollicité à des degrés divers et occupe une importance variable selon les sujets d’étude. La majorité des interventions portaient sur l’internet à l’exception du celle de Cédric Parizot qui concernait la modélisation des données issues du terrain et questionnait le jeu vidéo comme support de narration scientifique :
A. Vion, C. Parizot, W. van den Broeck : ‘Israël Palestine sous les cartes’ http://t.co/RnX9rDhrED #NUMIG_ATED sur @anti_atlas
— Delphine Cavallo (@Pepine) 25 Juin 2015
A Crossing Industry (http://t.co/BYAxgGuaOa), un jeu pour expérimenter de nouvelles formes de narration en SHS #NUMIG_ATED
— Delphine Cavallo (@Pepine) 25 Juin 2015
Concernant l’internet, la présentation de l’atlas e-diasporas par Dana Diminescu, a magistralement démontré la richesse de l’analyse des données du numériques comme objet d’étude pour penser les migrations.
Dana @diminescu intervention at #numig_ated to showcase her vision for a sociology of the #connected_migrant <a
— Surfing 4 Peace (@Surfing4Peace) 24 Juin 2015
Résultat de plus de dix ans de recherche, ce projet pionnier a influencé une multitude de doctorats qui considèrent aujourd’hui le web comme un objet d’étude à part entière, à l’image de la thèse en cours d’Alain Zind, ou de Sabrina Melouah par exemple :
@AlainZind (Univ. Paris 8) présente son travail sur la représentation de la guerre d’Irak par ses acteurs #NUMIG_ATED — Delphine Cavallo (@Pepine) 24 Juin 2015
Présentation du passionnant travail de Sabrina Melouah (Univ. Annaba) sur la langue dans la messagerie instantannée de Facebook #NUMIG_ATED — Delphine Cavallo (@Pepine) 24 Juin 2015
Cependant, pour la majorité des doctorants de l’ATED, l’internet ne constitue qu’une partie de leur étude principalement fondée sur une analyse de terrain hors-ligne. Dans ce cas, le web est sollicité à différents stades de l’enquête : comme espace ressource permettant d’identifier les acteurs sur le terrain pour Célia Lamblin et Hicham Jamid mais aussi comme matériau venant compléter les interactions hors-ligne à l’image du travail de Marion Breteau:
#ATED_NUMIG MArion Breteau (IDEMEC) : ethnographie amoureuse en Oman à partir de WhatsApp
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 25 Juin 2015
Par ailleurs, l’intervention de Nicolas Larrousse, a rappelé que, malgré la diversité des approches, les pratiques et les études sur le numérique en SHS s’inscrivent dans les dynamiques socio-techniques de l’internet. Après avoir présenté l’évolution du web depuis le développement de l’informatique connecté, il a montré comment l’essor du web de données tendait à structurer la connaissance en ligne :
#ATED_NUMIG N. Larrousse (@Huma_Num): les rapports de force qui structurent la toile dès son origine. cf. @piotrr70 http://t.co/1LbAZIPMkb — sophie gebeil (@SophieGebeil) 23 Juin 2015
Nicolas Larrousse (@Huma_Num) nous raconte l’histoire du web de données #NUMIG_ATED
— Delphine Cavallo (@Pepine) 23 Juin 2015
Responsable de l’archivage et de l’interropérabilité des données au sein de l’infrastructure Huma-Num, il a ensuite précisé le rôle de cette TGIR créée par le CNRS afin de “faciliter le tournant numérique en SHS” :
#NUMIG_ATED Activités d’Huma-Num par N Larrousse : animation de consortiums, mise à disposition de services numériques, coordination DARIAH — Bagolina (@Bagolina) 22 Juin 2015
En savoir + ? rendez-vous sur http://t.co/LdZG6TLWl8 et http://t.co/SUe2couDvZ #NUMIG_ATED https://t.co/EAyFo5q6a1
— Huma-Num (@Huma_Num) 22 Juin 2015
2. Traces numériques et migrations : un nouveau rapport au terrain/à la source
Le recours à des données numériques comme matériau pour l’étude des migrations questionne le chercheur dans son rapport à la trace. Afin de définir les traces numériques, Dana Diminescu cite les travaux d’Alain Mille :
#NUMIG_ATED @diminescu La “traçabilité migratoire” comme narration. Voir Alain Mille sur les traces numériques http://t.co/rtrUlmPMKY
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 24 Juin 2015
Selon Alain Mille (2013) : “la trace numérique est constituée à partir d’empreintes numériques laissées volontairement ou non dans l’environnement informatique à l’occasion d’un processus informatique”.
En Histoire, cette question se pose avec acuité du fait de l’instabilité des traces en ligne. Dans le cadre de ma thèse[3], le recours à l’internet en tant que source principale a été conditionné par l’existence en France d’un dépôt légal du web dont la mission d’archivage est confiée à l’INA et à la BNF :
#NUMIG_ATED Le rapport à l’archive pour l’historien : question des temporalité, rupture, continuité, le rapport aux sources pérenne, auteurs
— Bagolina (@Bagolina) 22 Juin 2015
Le mouvement d’archivage du web est né à la fin des années 1990 aux Etats-Unis (Internet Archive) et en Europe mais l’IIPC (International Internet Preservation Consortium) compte cependant peu d’institutions issues du bassins méditerranéens et non membres de l’UE (en savoir plus sur les missions de l’IIPC).Pour l’historien, les archives de l’internet impose un nouveau rapport à la source du fait de la nature même de cette archive qui est le fruit d’un processus de “re-médiation[1]“.
Dans la continuité, Alain Zind a rappelé les enjeux historiques liés à l’analyse des vidéos issues de Youtube concernant l’intervention militaire des Etats-Unis en Irak en 2003.
Plus généralement, l’ensemble des travaux ont interrogé l’usage des réseaux socio-numériques dans l’optique des études migratoires. Même lorsqu’il s’agit d’une pratique ponctuelle, le chercheur (anthropologue, historien, linguiste, sociologue) se voit intégré dans un environnement qui lui impose un cadre structurel propre à chaque outil (Facebook, Twitter, WhatsApp, etc.). Il est ainsi contraint de questionner la place qu’il peut accorder aux ressources qui en sont issues dans une perspective de recherche. Est-il nécessaire de garantir l’identification de l’auteur et la fiabilité des contenus publiés sur le réseau pour les utiliser ? Quel sens donner à ces espaces d’expressivité individuelle et de relations interpersonnelles ? Comment articuler les dynamiques migratoires en ligne et hors-ligne, en dépassant l’opposition virtuel/réel ? Est-il indispensable de comprendre le processus technique qui est à l’origine du fonctionnement du réseau social sur lequel je travaille ? Quels outils de visualisation peuvent me permettre d’affiner mes problématiques ? Cette multitude de questions peut être génératrice d’angoisses pour un doctorant en SHS dont le cursus accorde traditionnellement peu d’importance à la culture numérique et aux sciences de l’informatique. Une réflexion sur les réseaux socio-numériques peut constituer une plus-value dans le cadre d’une thèse mais cela peut parfois apparaître chronophage lorsque le réseau social hors-ligne reste le matériau essentiel de la recherche.
Pour dépasser ses contraintes et s’approprier les ressources numériques, plusieurs solutions s’offrent aux doctorants. Une première clé réside dans l’auto-formation afin de construire des notions de base en informatique connectée et en sciences de l’information et de la communication. Dans la continuité, la fréquentation de la littérature portant sur les relations entre numérique et migrations, quelque soit la discipline, permet de mieux comprendre les spécificités des matériaux analysés, mais aussi les outils disponibles à des fins de recherche :
#NUMIG_ATED @Huma_Num propose aux chercheurs des outils d’exposition des données, à l’image d’@rech_isidore
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 22 Juin 2015
Enfin, l’identification et la collaboration avec les personnes qui, de par leur fonction constituent des intermédiaires, apparaissent cruciales : ingénieurs en informatique, acteurs du développement du web, nouveaux métiers de l’archive, etc. Leur aide précieuse permet de mieux comprendre les spécificités de l’internet ou des contenus numériques tout en offrant la possibilité de s’associer à l’élaboration d’outils d’analyse adaptés à la thématique de recherche et à ses spécificités disciplinaires.
Quelques soient les solutions adoptées, le recours à des contenus issus de l’internet, impose au chercheur un décloisonnement vers les autres disciplines des SHS mais aussi vers les sciences de l’informatique. Par exemple, Dana Diminescu convoque la théorie des réseaux du Physicien Albert-László Barabási dans l’analyse des e-diasporas :
#ATED_NUMIG Pour l’analyse des réseaux, Barabási-Albert network model : https://t.co/eNfP2Qz9dc
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 23 Juin 2015
En retour, cette interdisciplinarité impose une redéfinition des territoires et des méthodologies d’analyse.
3. Nouvelles formes de restitution de la recherche sur les migrations
Objet d’étude, l’internet apparaît aussi comme un espace de diffusion de la recherche sur les migrations. Le numérique offre la possibilité de renouveler les formes d’écriture du savoir en SHS. L’écriture numérique est multimédia car il est possible d’assembler, sur un même écran des données issues de divers formats, qu’elles soient nativement numériques ou non. Comme l’a souligné Maryline Crivello , ces innovations s’inscrivent dans la continuité des formes de médiatisation de la connaissance, notamment à travers les productions filmiques.
#ATED_NUMIG Sur les formes de mise en scène du savoir cf. Jacques Lévy https://t.co/RqHIlZNDZZ
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 23 Juin 2015
Durant l’ATED, le film Liquid Traces de Charles Heller et Lorenzo Pezzani a démontré comment un travail académique peut faire l’objet d’une restitution numérique, dans laquelle l’argumentation est renforcée par les matériaux de la recherche mis à l’écran. Les données informatiques récoltées dans la zone de naufrage du “bateau-cercueil”, conjuguées aux entretiens filmés avec les rescapés, renforcent la démonstration du chercheur portée par la voix off :
‘liquid traces’ a documentary about the ‘left-to-die’ boat when 63 migrants died in the Med Sea in 2011 http://t.co/JO55Bs8RFc #NUMIG_ATED
— Surfing 4 Peace (@Surfing4Peace) 23 Juin 2015
Il en résulte une démonstration accablante qui met en exergue les multiples culpabilités de non-assistance du bateau à la dérive, largement identifié par les multiples acteurs maritimes présents sur la zone du drame.
Au caractère multimédia, s’ajoute les possibilités d’interactivité exploitées par Cédric Parizot à travers le projet de jeu vidéo A Crossing Industry. Cette nouvelle forme de narration du savoir se fonde sur le travail de recherche tout en mettant le joueur en immersion dans les territoires palestiniens, en quête d’appuis relationnels qui lui permettront de traverser le mur. La diffusion de ces contenus sur l’internet dans l’environnement hypertextuel du web, offre la possibilité d’une écriture hypermédia des études migratoires.
#ATED_NUMIG @diminescu présente les projets UBI SCREEN http://t.co/4j2FJ7eC2V et http://t.co/1TCkUyoKJJ
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 24 Juin 2015
L’exemple de l’atlas e-diasporas constitue une des formes les plus abouties en la matière, conjuguant les données brutes accessibles en ligne, les graphes de liens par diasporas ainsi que des vidéos et des textes des chercheurs expliquant leur démarche. A cela s’ajoute le livre imprimé qui associe chaque graphe à un QR Code renvoyant vers les graphes en ligne. Enfin, à travers les productions en ligne utilisant de nouvelles formes de narration discursive, les chercheurs peuvent renforcer les liens noués avec la société civile, à l’image de la plateforme Watch the Med (Charles Heller et Lorenzo Pizzani) qui est à l’origine d’un réseau militant visant à secourir les migrants en mer.
@Surfing4Peace #NUMIG_ATED What an amazing project. See also http://t.co/nFMzPojp6A by Charles Heller and Lorenzo Pezzani.
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 23 Juin 2015
Ces exemples illustrent les modalités selon lesquelles l’internet enrichit les formes de restitution des travaux de recherche. L’écriture hypermédia permet de donner à voir la démarche d’enquête mais aussi les matériaux (sources, preuves, terrain, etc.) à l’origine de l’argumentation proposée. Comme le souligne Pierre Mounier, le web offre l’opportunité aux chercheurs “d’ouvrir l’atelier[4]” de la fabrique du savoir. Ces formes inédites s’inscrivent parallèlement dans une structuration de l’espace numérique de la recherche à l’image de la plateforme de blogging scientifique Hypotheses.org créées en 2009 par le Cléo et dont une formation a été dispensée par Delphine Cavallo et Véronique Ginouvès durant l’ATED :
#NUMIG_ATED @Pepine présente la plateforme @hypothesesorg et les nouvelles relations entre les chercheurs et les ingénieurs.
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 22 Juin 2015
La conférence de Kmar Bendala qui est l’auteure du carnet Histoire et culture dans la Tunisie contemporaine témoigne de l’usage du blog de recherche comme un espace de questionnement historiographique, dans le contexte de transition politique de la Tunisie :
#NUMIG_ATED Pour K. Bendana, @hypothesesorg est un espace de questionnement. C’est comme retourner une terre, mais sans semer. — sophie gebeil (@SophieGebeil) 26 Juin 2015
Elle analyse dans le carnet le rapport au passé dans la Tunisie contemporaine. Sa démarche est ouverte aux commentaires et s’appuie sur l’actualité pour proposer une réflexion historiographique :
#NUMIG_ATED comme un escargot on vous a cassé votre carapace, vous continuez à avancer petit à petit: le blog c’était une écriture de la vie
— Bagolina (@Bagolina) 26 Juin 2015
Non seulement Kmar Bendana propose des billets historiques mais elle s’engage dans le débat public qui agite la société civile tunisienne. Elle y livre ses “carnets de notes” historiques tout en proposant des lectures éclairantes des évènements contemporains, à l’image de son billet sur l’assassinat de Chokri Belaïd :
#NUMIG_ATED écrire sur la mort de Chokri Belaïd c’est la première fois que j’ai eu la sensation qu’écrire avait un sens
— Bagolina (@Bagolina) 26 Juin 2015
La rigueur historiographique est donc offerte au lecteur et se construit au service de la société tunisienne en transition, s’inscrivant pleinement dans ce que Guy Zelis définit comme “l’histoire publique“[5] :
#NUMIG_ATED comme un escargot on vous a cassé votre carapace, vous continuez à avancer petit à petit: le blog c’était une écriture de la vie
— Bagolina (@Bagolina) 26 Juin 2015
4. Des perspectives de recherche
Plusieurs questionnements sont revenus de façon récurrente durant l’ATED et ont attiré mon attention. Bien souvent, ils ne constituent pas une nouveauté. Au contraire, l’étude numérique des migrations semble davantage imposer une relecture des concepts classiques qui peuvent être sollicités dans l’analyse.
Le premier axe de recherche réside dans la relation que le chercheur entretient avec les traces numériques qui constituent son objet d’étude. Avec l’internet, il est inséré dans une relation avec les enquêtés qu’il doit pouvoir définir. Comment en effet considérer cette relation d’amitié décrite par les réseaux sociaux ? Cette question est devenue classique depuis les travaux de Danah Boyd qui ont démontré comment les logiques d’amis structuraient les réseaux sociaux, amenant ainsi les usagers à façonner leur profil dans le but d’accroître leur popularité [6]. Les chercheurs sont eux-mêmes amenés à se créer un profil en ligne mais faut-il utiliser sa véritable identité ou conjuguer les deux comme l’a fait Sabrina Melouah avec Facebook ? Ces choix méthodologiques conditionnent les informations qui vont être collectées et imposent une réflexion éthique en amont comme en aval. En effet, pour Ahmad Abdul-Malik qui travaille sur le commerce informel organisé par les femmes comoriennes, il apparaît difficile d’illustrer son propos par des captures écrans issus de Facebook dans la mesure où elles donnent à voir une activité répréhensible aux yeux de la loi.
#ATED_NUMIG Ahmad Abdoul-Malik (LEST-AMU) : Les usages numériques dans l’organisation du commerce transnational. Le cas des Comoriennes.
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 25 Juin 2015
Comme le rappelle Maryline Crivello, la question de la relation entre le chercheur et son objet d’étude ne constitue pas une nouveauté.
#ATED_NUMIG M. Crivello revient sur la place du chercheur en SHS par rapport à son objet d’étude. A ce propos : https://t.co/EPbfDioFTs — sophie gebeil (@SophieGebeil) 25 Juin 2015
Le second axe qui a retenu mon attention concerne la qualification des usages du numérique en lien avec les migrations. Dans cette perspective, Dana Diminescu a reprécisé deux notions centrales : les diasporas et la “traçabilité migratoire”.
A l’ère du migrant connecté, les e-diasporas apparaissent comme des entités instables, mouvantes, en reconfiguration constante. Comme Dana Diminescu l’a très clairement expliqué durant l’ATED, les liens tissés peuvent “faire diaspora” à l’occasion d’un évènement, à l’image des élections roumaines qui ont fédéré une communauté diasporique en ligne face aux difficultés rencontrées au moment du vote dans les différents pays de l’UE. Cependant, une fois l’expérience partagée dépassée, les relations se délient et la diaspora en ligne s’étiole.
Par ailleurs, Dana Diminescu a qualifié de “traçabilité migratoire”, le modèle d’analyse des migrations défini comme :
“Ici, ce que nous appelons traçabilité migratoire c’est une trajectoire migratoire (d)écrite, comme un journal de bord, par les traces numériques (Alain Mille, 2013) que le migrant laisse à différents moments de son déplacement et/ou de son activité dans un environnement digitalisé. C’est le résultat de la mise en corrélation de ces données enregistrées par différents capteurs numériques. Ces données sont synthétisées sous forme de codes, collectées et stockées sur différents supports à mémoire informatiques. La traçabilité migratoire est une narration qui compile (ou compose avec) une multitude de sources contextuelles et flux d’informations personnelles nécessitant un traitement de plus en plus automatique.[7]“
Pour autant, cela ne signifie pas que seules les “traces numériques” doivent être sollicitées :
#NUMIG_ATED @diminescu Le recours aux traces digitales ne doit pas entraîner le renoncement à l’enquête orale, et au croisement des sources.
— sophie gebeil (@SophieGebeil) 24 Juin 2015
Enfin, l’articulation entre le renouvellement des modes d’action sociale et du militantisme avec les technologies numériques (l’internet en particulier), apparaît comme un axe récurrent d’analyse, en lien avec ce que Dominique Cardon a qualifié de “démocratisation de l’espace public[8]“. Les usages numériques permettent d’une part de renouveler les formes du militantisme à travers des productions multimédias :
@Surfing4Peace screened its work yesterday at #numig_ated – see @washingtonpost publication w/ photos from A.Martins http://t.co/N7PMa3GCDK
— Surfing 4 Peace (@Surfing4Peace) 25 Juin 2015
D’autre part, dans le cas du recours à l’internet, ses usages numériques s’interrogent dans leur complémentarité avec les modes d’action hors-lignes. Ils sont également conditionnés par l’outil choisi par les militants (Facebook, Twitter, Youtube) qui s’approprient des applications commerciales qui n’ont pas initialement vocation à transformer les rapports sociaux ou à faire la Révolution !
J’espère que ce bref survol de quelques thématiques qui ont attiré mon attention durant l’ATED et la consultation des tweets pourront servir à d’autres doctorants. Si ce billet n’a pas vocation à l’exhaustivité, il est une invitation à la discussion en ligne et hors-ligne.
[1] Niels Brügger, Archiving Websites: General considerations and strategies, Århus, Denmark, The Centre for Internet Research, 2005, 78 p.
[1] Dana DIMINESCU, Attachée de Recherche « Les migrations à l’âge des nouvelles technologies », Revue Hommes et migrations. Article issu du N°1240, septembre-octobre 2002 : Migrants.com
.
Mis à jour le : 05/03/2008, http://www.hommes-et-migrations.fr/index.php?/numeros/migrants_com/1054-Les-migrations-a-l-age-des-nouvelles-technologies
[2] Tristan MATTELART, « Les diasporas à l’heure des technologies de l’information et de la communication : petit état des savoirs », tic&société [En ligne], Vol. 3, n° 1-2 | 2009, mis en ligne le 14 décembre 2009, consulté le 28 juin 2015. URL : http://ticetsociete.revues.org/600 ; DOI : 10.4000/ticetsociete.600
[3] Les mémoires de l’immigration maghrébine sur le web français, voir le carnet de recherche Mâdi (le passé), Internet, Histoire, Mémoires, http://madi.hypotheses.org, consulté le 26 juin 2015.
[4] Pierre Mounier, « Ouvrir l’atelier de l’historien : médias sociaux et carnets de recherche en ligne », Homo Numericus, 11 septembre 2011, http://www.homo-numericus.net/article304.html, consulté le 26 juin 2015.
[5] Guy Zelis, « Vers une histoire publique », Le Débat 5/2013 (n° 177) , p. 153-162
URL : www.cairn.info/revue-le-debat-2013-5-page-153.htm.
DOI : 10.3917/deba.177.0153.
[6] Danah Boyd et Jeffrey Heer, Friends, « Profiles as Conversation: Networked Identity Performance on Friendster », IEEE Computer Society, Washington DC, USA, 2006
[7] Diminescu Dana, « Éditorial », Revue européenne des migrations internationales 3/2014 (Vol. 30) , p. 7-13
URL : www.cairn.info/revue-europeenne-des-migrations-internationales-2014-3-page-7.htm.
[8] Dominique Cardon, La démocratie Internet: promesses et limites, Paris, France, Seuil, DL 2010, coll. « La République des idées, ISSN 1636-9440 », 2010, 101 p.
Crédits photographiques de l’image à la une : pendant un atelier de l’ATED : usage des graphes, jeudi 25 juin, phogr. V. Ginouvès.